– Recherche-action sociologique sur le non-recours aux services dans le cadre de la prévention des expulsions locatives

Recherche-action financée par la Métropole Grand Lyon
2017-2018

Le questionnement initial ou la question de départ qui motive la recherche-action peut être énoncée de la manière suivante :

Comment se fait-il que les habitants pris dans une procédure d’expulsion, principalement en raison de problèmes financiers, n’interpellent pas ou ne font pas suite à l’interpellation des travailleurs sociaux de la Métropole de Lyon (ou d’autres services) et ne se présentent pas à l’audience au tribunal ?

A priori, on peut s’en étonner considérant que le recours aux services sociaux offre la possibilité d’anticiper et de trouver des arrangements, il favorise également la présence à l’audition qui elle-même sera vue comme un signe positif par le juge qui accordera plus facilement des délais au locataire (CGED, IGAS, IGS, IGA, 2014).

La recherche-action proposée s’inscrit dans le champ de la « sociologie d’intervention » (Herreros, 2009) qui s’autorise à s’écarter de la voie habituelle – la connaissance pour la connaissance – pour répondre à la « demande sociale » en attente de réponses et d’aide à la décision, estimant que cela peut être profitable aux acteurs mais aussi à la sociologie qui peut y gagner et en sortir renouvelée. Notre recherche-action est étroitement liée à une « sociologie d’accompagnement du travail social » redevable des travaux de Jacques Ion et Bertrand Ravon [(Ion, Ravon, 2002), (Ion, 2005)], clairement distincte d’une approche critique qui vise à dévoiler les mécanismes de domination. On peut également la rapprocher de ce que Philippe Lyet (Lyet, 2016) nomme « les recherches conjointes » où chercheurs et acteurs tentent de dialoguer ensemble pour construire des « connaissances composites » ou « hybrides ». De fait, on l’aura compris, ici il n’est pas question de « rupture » entre le scientifique et le sens commun mais bien de « continuité ».

Pourquoi les habitants sont-ils dans le « non-recours » aux services, thématique qui réfère explicitement aux travaux de Philippe Warin ou de Pierre Mazet de l’ODENORE (Vie sociale, 2008) ? Eu égard à ce questionnement et aux limites de la littérature sur les expulsions locatives, nous proposons, dans une perspective qualitative relevant de la sociologie compréhensive (Weber, 1995), d’axer la recherche sur « l’expérience vécue » (Schütz, 2008) des acteurs, soit les habitants et les intervenants sociaux. Les premiers sont les mieux placés pour expliquer leurs raisons de ne pas recourir. Quant aux seconds, il importe d’intégrer leur point de vue car la procédure d’expulsion est le résultat d’une trajectoire individuelle et familiale mais aussi, et cela ne doit pas être minoré, d’interactions avec les travailleurs sociaux et, plus largement, d’interactions avec une multiplicité d’acteurs (bailleurs/propriétaires, juges, etc.) plus ou moins liés et organisés entre eux. Ajoutons que c’est grâce à l’expérience vécue des habitants et des professionnels que nous comptons interroger la dimension organisationnelle et institutionnelle de la prévention des expulsions locatives.

  • Entretiens individuels semi-directifs [(Kaufmann, 2011), (Beaud, Weber, 2003)] auprès des habitants. Dans la mesure du possible, l’étude-action ne s’intéressera pas tant à des habitants « particuliers » (des personnes dites « désocialisées ») qu’à des habitants « ordinaires » vraisemblablement plus nombreux. Il faudra évidemment mieux caractériser le public qui correspond à ces derniers (âge, sexe, foyer monoparental, famille nombreuse, travailleur pauvre, bénéficiaire de minima social, etc.).
  • Entretiens collectifs afin de nous intéresser aux pratiques professionnelles des intervenants sociaux. Selon Duchesne et Haegel (Duchesne, Haegel, 2014), cette modalité d’enquête, encore peu usitée en France et largement répandue dans le monde anglo-saxon de la recherche, est pratique pour l’enquêteur car elle permet de recueillir différents points de vue, c’est-à-dire du « sens partagé » mais aussi des désaccords riches d’enseignements. Cela veut dire aussi qu’elle a un intérêt pour les enquêtés, elle permet une prise de conscience et peut engendrer du changement, d’autant plus quand ces derniers font partie d’un même groupe, ainsi les intervenants sociaux d’une équipe professionnelle.
  • L’échantillon : Nous avons l’intention d’enquêter auprès de 20 habitants (10 pour Lyon et 10 pour Villeurbanne) et de réaliser 3 ou 4 entretiens collectifs. Précisons qu’un échantillon qualitatif n’a pas besoin d’être de grande taille pour être valable, de même il n’a pas besoin d’être représentatif de la « population mère », même si par ailleurs il faut veiller à sa diversité pour obtenir des résultats probants. Comme l’empirisme le proclame, un échantillon qualitatif vaut en lui-même, il se fonde sur la possibilité d’expliquer le tout par la partie (James, 2007), résultat qui ne peut être atteint que par une exploitation conséquente du matériau. Cela suppose de ne pas faire de la « parole des acteurs » un « témoignage » ou une « illustration exotique » complétant des données chiffrées. Auprès des habitants comme auprès des professionnels, nous voulons procéder par « cas » – en écho à quelques « cas » fameux traités en sciences humaines [(Élias, 1991), (Foucault, 1973), (Ginzburg, 1993)] – c’est-à-dire construire des récits d’habitants expulsés ou expulsables croisés avec l’analyse des intervenants sociaux.

Cette recherche action est conduite et réalisée par David GRAND, chercheur à l’ESPASS de l’IREIS et formateur à l’IREIS de la Loire.

  • Valorisation des conclusions de la recherche à destination des opérateurs et partenaires des politiques publiques
  • Sensibilisation et formation des travailleurs sociaux
  • Information et diffusion des résultats de la recherche relatifs à la dimension organisationnelle et institutionnelle de la prévention des expulsions locatives en direction de tous les acteurs concernés