– Les pratiques d’intervention à domicile et en milieux ouverts dans les champs de la vieillesse, du handicap et de la protection de l’enfance – regards croisés France Québec

Direction de l’Europe, des Relations internationales et de la Coopération
(DERIC – Conseil Régional Rhône-Alpes)
2012-2015

Responsables scientifiques
  • Catherine Lenzi (ESPASS-IREIS, Laboratoire PRINTEMPS, UMR-CNRS 8085)
  • Christian Jetté (Université de Montréal, CRISES)
  • Sylvie Normandeau (Université de Montréal, CJM-Institut Universitaire)
Contexte de la recherche

Après le champ de la santé mentale qui a connu un mouvement important de désinstitutionnalisation, l’objectif de remplacer l’offre institutionnelle et publique par des services de proximité produits par des associations, des organismes communautaires et des entreprises d’économie sociale et solidaire s’étend à de nouveaux publics, aussi bien en France qu’au Québec. Cet objectif coïncide avec un déplacement des pratiques d’intervention sociale de la sphère publique vers la sphère privée qui connait un essor important dans un contexte d’application des principes managériaux de la Nouvelle gestion publique (NGP) et de promotion de l’individu.

De fait, liée et associée au mouvement de rationalisation et de rénovation des politiques publiques, la désinstitutionnalisation est le plus souvent abordée dans les travaux des sociologues et politistes sous l’angle d’une critique du néolibéralisme économique et des effets délétères de l’individualisme négatif en termes de décollectivisation, d’ébranlement et de démantèlement du schéma social étatiste. Du côté du champ du travail social, certains auteurs ont bien rappelé le danger que constitue le fait de conférer à la désinstitutionnalisation le pouvoir de renforcer, à elle seule, la capacité d’agir des personnes, rappelant en ce sens les critiques parfois virulentes évoquées à l’encontre du concept nord américain d’empowerment. Angle d’approche qui s’inscrit dans le prolongement des sociologies critiques à l’encontre des politiques d’activation dans leur mise en actes des principes de l’injonction à l’autonomisation et au libre arbitre.

Pour autant, bien que nécessaires et pertinentes, ces analyses en raison du primat qu’elles accordent à la traduction économique des transformations en cours permettent difficilement de cerner les recompositions et ressorts d’action à l’œuvre, notamment du côté des arrangements et coopérations institutionnels, de la professionnalité et de la réflexivité des acteurs.

De cette façon, au-delà du malaise organisationnel et professionnel généré par les nouvelles gestions du social, source d’épuisement et de désengagement professionnel, la présente recherche oriente ses questionnements sur la façon dont le mouvement de désinstitutionnalisation de l’aide et de l’action sociale, dans les multiples déplacements qu’il entraîne peut, dans le même temps, être l’occasion de multiples recompositions et arrangements entre institutions, entre collectifs de travail et entre acteurs. C’est donc aussi à la question des articulations et des coopérations propices à une reconfiguration de l’action publique en train de se faire et à une réaffirmation de la professionnalité, qu’elle soit formelle ou invisible, que ce projet cherche à répondre.

Principales orientations de la recherche

Suivant cette logique, une première orientation de la recherche propose donc, dans une démarche comparative, de porter un regard croisé sur les réalités françaises et québécoises afin de mettre en relief et de comparer les réponses plurielles apportées par l’État et les milieux associatifs aux défis de l’intervention « hors les murs ». Le travail de terrain amorcé dans ce sens avec les chercheurs du LAREPPS interroge le partage des responsabilités entre les acteurs concernés (notamment le secteur associatif et de l’économie sociale) et la part effective de participation de chacun au processus d’élaboration et de co-construction des politiques publiques.

D’autre part, les reconfigurations institutionnelles dont il est question ici bousculent les cadrages professionnels traditionnels à travers la promotion de nouveaux acteurs, de nouvelles fonctions, sur de nouveaux espaces et remettent en cause les attributs professionnels. En France, les pratiques professionnelles qui émergent ne sont pas toujours issues de métiers codifiés qui renvoient à une formation et à une qualification particulières telles que circonscrites dans le champ canonique du travail social et font appel à une dimension personnelle importante et à des ressorts d’action liés à un savoir essentiellement expérientiel. De cette façon, une seconde orientation de la recherche interroge la construction des agirs professionnels et incite à les saisir davantage sous l’angle de la professionnalité et des « épreuves de reconnaissance », que dans une logique de professionnalisation classique (versus déprofessionnalisation). Cet angle d’approche permet de cerner autant les ressorts d’action positifs que recèlent les savoirs constitués par l’expérience du travail de care, dans leurs dimensions relationnelle, identitaire et émotionnelle, mobilisés dans le cadre de l’intervention au domicile des personnes ; que les « épreuves de professionnalité » que peut constituer leur invisibilité institutionnelle. Ainsi, et toujours d’un point de vue des pratiques, le développement des interventions hors les murs, dans un contexte général de désinstitutionnalisation, interroge la question des collectifs de travail et celle des régulations collectives, formelles ou informelles, capables ou non, de reconnaître les ressorts d’action des intervenants, quand bien même ceux-ci procèdent du bricolage inventif, et de soutenir les collaborations et coopérations intra et interinstitutionnelles indispensables à la continuité des prises en charge et au maintien du lien avec les publics et clientèles considérés.

Enfin, cette recherche comporte un 3e volet qui interroge les incidences des reconfigurations institutionnelles de l’intervention sociale sur les parcours biographiques des publics – qui croise aussi la participation sociale comme modalité d’intervention et comme défi (ou comme manque ?) pour les populations précaires. In fine, à partir d’expériences d’intervention au domicile des personnes et à travers l’adaptation des professionnels à ces nouvelles situations de travail (développement de nouvelles compétences et stratégies d’intervention), nous tentons de comprendre plus finement quels sont les enjeux et les incidences des nouvelles relations qui se nouent entre intervenants et familles.