Aux frontières du sans-abrisme

Séminaire de recherche

 

Marine Maurin, chercheuse au sein de l’ESPASS, est membre de ce réseau international qui réunit des chercheurs et chercheuses de différentes disciplines (sociologie, anthropologie, science politique, architecture…) autour d’un objet commun le “sans-abrisme”. Ce néologisme – qui se veut la traduction littérale du terme anglais “homelessness” – rend compte d’un choix théorique qui ne vise pas un type particulier de population mais qui identifie une situation problématique, celle de la « vulnérabilité de l’habiter » des personnes, et les diverses façons dont ce problème est, dans une société donnée, défini, pris en compte et pris en charge (que ce soit par les pouvoirs publics ou la société civile).

Les travaux de sciences sociales engagés depuis une trentaine d’années sur les situations d’exclusion du logement (sans-abrisme au sens strict, habitats de fortune comme les squats ou les cabanes de campements, habitats d’assistance comme les hébergements sociaux ou résidences sociales), montrent, de façon contre-intuitive, qu’il est nécessaire, si on cherche à les comprendre depuis le point de vue de celles et ceux qui les vivent, de les caractériser en termes d’habiter. L’habiter s’observe notamment à partir de pratiques d’appropriation (« chez-soi »), de familiarisation, ou encore par une reconnaissance de la possibilité d’habiter par les autres co-habitants (passants, voisins, professionnels, autres sans-abri etc.). Autrement dit, logement et habiter ne se recouvrent pas systématiquement. Surtout, on rate quelque chose de ces expériences si on les réduit à de la pure contrainte, sans voir les tendances à habiter qui s’y déploient malgré tout.

A partir de ces constats et questionnements, ce séminaire s’oriente alors dans deux directions, dont l’articulation n’a rien d’évident :

  • Une réflexion sur la portée analytique du concept d’habiter pour décrire et comprendre les épreuves que traversent les pratiques qu’il recouvre. Orientée par les épreuves d’habiter, la réflexion vise à clarifier le concept. Au gré des enquêtes, de nouvelles questions nous sont apparues : habiter recouvre-t-il l’idée du chez-soi ? De l’appropriation ? Est-ce que toute familiarisation passe par une appropriation ? Et quel rôle des cohabitants dans les possibilités d’habiter ? Est-ce qu’il est possible, ou souhaitable, de décentrer le concept d’habiter du point de vue individuel ? Comment améliorer les explications de ces épreuves d’habiter ?
  • Une réflexion sur la portée critique de l’habiter. Est-ce qu’il est envisageable de proposer un nouveau droit social comme celui d’un droit à habiter ? Si oui, quelle forme et quel contenu pourrait-il prendre ? Par exemple, un droit à habiter revient-il à un droit à un chez-soi ? Est-il nécessairement un droit subjectif, ou faut-il le raccrocher à une obligation publique en termes de solidarité ? Peut-on s’appuyer sur des normes existantes, soit dans notre passé, soit dans d’autres pays, soit encore au niveau des institutions européennes ? Mais cette proposition ne risque-t-elle pas d’affaiblir le droit au logement, déjà insuffisamment effectif ? Si oui, comment penser le droit à habiter en lien avec le droit au logement ?